Vers un aménagement du français québécois
et la standardisation de son usage
Par Paul Borchert
Le 10 novembre 2004
L’Université de Victoria, C.-B.
La langue que parle un peuple est faite à son image. Besoin viscéral de se faire comprendre pour simplifier le quotidien, pour avancer dans la connaissance comme pour exprimer la douce langueur d’un jour de pluie, la langue que l’on parle est celle du milieu où on l’apprend. Un Ivoirien ne peut pas parler tout à fait la même langue qu’un Parisien ou qu’un Québécois. Les réalités à nommer, géographiques et sociologiques, ne sont pas les mêmes: vivantes, les langues évoluent avec souplesse à la recherche d’un équilibre entre l’esthétique et la pratique.
- (Françoise Tétu de Labsade)1
Ce mémoire est une tentative de cerner le débat qui fait rage au Québec au sujet de l’aménagement formel de la langue. Les Québécois savent très bien que leur français contient des mots, des sens et des expressions qui distinguent leur façon de s’exprimer de celle des Français. Cependant, comme Claude Poirier le fait remarquer dans l’introduction de son Dictionnaire historique du français québécois, «ils ignorent les origines précises de ces québécismes et ne peuvent donc pas faire une évaluation juste de ce qu’ils ont reçu de France, emprunté à l’autres langues ou créé eux-mêmes. » (Poirier xvi) En plus, il faut s’entendre sur la normalisation des particularités québécoises : lesquelles devraient être officiellement standardisées ou critiquées. Pour remédier à cette situation, comme on le verra dans ce mémoire, plusieurs linguistes québécois sont impliqués dans un projet de description globale du français au Québec comme variété autonome de cette langue. Même si ces spécialistes ne constituent pas nécessairement un groupe formel, ils poussent la recherche linguistique dans une nouvelle direction. Depuis deux décennies, ils ne réduisent plus le français du Québec à la somme de ses particularismes mais plutôt, à une langue qui a accès à toute la richesse de la langue française avec, en outre, un important réservoir régional. Par contre, l’image traditionnelle du lexique français au Québec représentée dans maints dictionnaires et grammaires, a depuis bien longtemps une fonction largement différentielle. Ainsi, c’est une image qui décrit la langue française au Québec comme la somme de ses particularismes vis-à-vis d’un français dominant en usage en France.
La question de l’aménagement de la langue française au Québec nous mène également à la standardisation de son usage. Ce mémoire vise à l’explorer cette question de standardisation en analysant des textes écrits par des linguistes et autres spécialistes (notamment les travaux des linguistes Pierre Martel, Hélène Cajolet-Laganière, Noël Corbett, Jean-Claude Corbeil, Marcel Juneau, Claude Verreault, et Claude Poirier 2). Quant à l’enseignement de la langue française au Canada, ce mémoire sera utile aux enseignants qui doivent souvent faire des choix lexicaux qui reflètent leur propre loyauté envers un dialecte ou un sociolecte.3
I. Le français standard au Québec
Par ‘français standard au Québec’, nous faisons référence plutôt à un français appelé ‘véhiculaire’ qui existe parmi des Québécois. Noël Corbett définit l’usage de cette forme véhiculaire dans la présentation du recueil Langue et identité: le français et les francophones d’Amérique du Nord:
En principe le FS est une forme de langue qui permet au sujet parlant de passer relativement inaperçu au moment de la communication, de faire en sorte que le contenu plutôt que la forme de son message soit mis en vedette, de réduire au minimum les indications sur sa classe sociale ou son lieu de provenance. (Corbett, xiii)
Les Québécois ne sont pas obligés de faire référence à la langue de l’élite intellectuelle parisienne ni de la littérature française de France. L’usage standard des mots comme l’école secondaire4, le huart , le dépanneur, la chiropratique, et la médecin démontrent une spécificité québécoise. Autrement dit, le français standard du contexte québécois diffère parfois du français dit ‘parisien’. Nous utilisons le terme ‘français standard’ (FS) pour spécifier un français généralement employé et compris des francophones partout au Québec. C’est une langue de lien.
Cependant, Corbett concède qu’il faut avoir de sérieuses réserves sur le concept même du FS. On ne pourrait jamais tout effacer l’origine de l’écrivain et ses circonstances de la personnalité du sujet parlant. (Corbett, xiii) D’abord, la prétendue neutralité linguistique du FS est peut-être irréalisable. La place de l’individu et de l’expressivité personnelle démontre la fragilité de la notion d’une langue « standardisée » ou « normalisée ».
Jean-Claude Corbeil5 propose qu’il y a, à côté d’une ‘norme linguistique’, une norme sociale ou prescriptive. Cette dimension mesure les réalisations linguistiques variées selon lesquelles on parle de la qualité de la langue ou une hiérarchisation d’usage. Corbeil suggère qu’il s’agit d’un jugement social qui hiérarchise les usages linguistiques en fonction d’un système de valeurs solidement établi. Corbeil souligne que c’est généralement la classe des gens instruits, l’élite intellectuelle, qui valorise tel ou tel usage. Le français québécois standard est établi et promu par des organismes comme l’Office de la langue française 6, divers dictionnaires québécois, ainsi que les exemples de lexiques utilisés dans des textes littéraires québécois publiés au Québec.
Pierre Martel et Hélène Cajolet-Lagnière dans leur texte Le français québécois : usages, standard et aménagement expliquent qu’ il y a évidemment de nombreux usages qui ne sont pas conformes à cet usage dit standard. Même s’ils sont libéralement employés, ces mots et expressions sont relégués à d’autres niveaux de langue. Certains mots ont un caractère de parler traditionnel 7 (achaler, patate), d’autres sont des usages régionaux (bombe, canard au sens de ‘bouilloire’), et encore d’autres appartiennent au registre familier (char, écoeurer). (Martel et Cajolet-Lagnière 75)
1.1 Les modèles supranorme et infranorme
Il est évident que, dans le cas des langues de grande diffusion, il arrive que plusieurs normes dominantes entrent en concurrence et se hiérarchisent à leur tour, comme c’est le cas avec les normes américaine et anglaise. Même s’il y a des ‘puristes’ qui se lamentent de toute déviation de la source d’origine (comme le Prince Charles se plaint de l’anglais américain et de sa qualité d’expression), cette diffusion est inévitable. Martel et Cajolet-Lagnière identifient une hiérarchie des normes sociales, soit à l’échelle supranorme (qui inclut toute la francophonie), soit à l’échelle infranorme (le modèle linguistique des Québécois). Un locuteur fidèle à la supranorme au Canada emploierait le mot “plongeon” à la place de huart, “gant de toilette” au lieu de débarbouillette, et refuserait la féminisation des titres. Les linguistes et spécialistes qui étudient la langue française au Québec croient depuis assez longue date qu’il existe au Québec un usage soigné et standard à l’échelle infranorme. Les journalistes sur les ondes de Radio Canada, par exemple, démontrent cette standardisation de la langue.
Ainsi nous notons que ce mouvement vers une identité linguistique est également relié à l’écrit. En 1990, Claude Simard a mentionné cette réalité dans Les besoins lexicographiques du milieu de l’enseignement du Québec:
Dans les circonstances officielles et à l’écrit, [les Québécois] privilégient un usage soigné qui forme le français québécois standard par rapport auquel tous les autres niveaux de langue s’ordonnent. (Martel et Cajolet-Lagnière 75)
Un grand nombre de linguistes québécois partagent l’avis que les Québécois sont arrivés au point où ils doivent procéder méthodiquement à la description des usages de leur langue, et surtout de leur usage standard. En même temps, ils ne nient point que le modèle linguistique québécois infranorme restera toujours à l’intérieur d’un ‘noyau’ de la francophonie globale.
La source du français québécois standard est multiple : la langue parlée ‘soignée’ de la radio, la langue des communications de l’État, la langue enseignée aux écoles, ainsi que la langue écrite dans les textes littéraires. En rédigeant ce mémoire, on a remarqué un manque de description de cette norme du français québécois. Des linguistes québécois se plaignent depuis longue date d’une absence d’ouvrages fiables, complets et de haute qualité des usages (familiers et standards) de la langue française au Québec.
1.2 La description du français québécois écrit
L’Office de la langue française a essayé de répondre à ce besoin en créant un site sur l’internet qui offre un grand dictionnaire terminologique qui inclut « 3 millions de termes » et une banque de dépannage linguistique québécois assez développée. Cette banque de données est pratique, mais loin d’être à l’ampleur voulue par les spécialistes. Le Dictionnaire du français plus a fait son apparition sur le marché québécois en 1988. Ce dictionnaire n’est pas un glossaire des particularités québécoises comme beaucoup de ses prédécesseurs mais un dictionnaire français complet (dérivé du Hachette) avec un ajout de plus de 4000 québécismes. Cependant, ce dictionnaire a été fort critiqué par certains linguistes tels que Claude Verreault et Louis Mercier8, car ces québécismes sont enregistrés au même titre que d’ autres mots de la langue sans marque comme tels. D’ailleurs, il n’y a aucune mention des registres d’emploi.
Quelques critiques attribuent ce manque de description valable d’un français standard simplement au fait que, selon eux, celui-ci n’existe point. Un membre de ce groupe de sceptiques est Monique Nemni:
En 1990, le Conseil de la langue française affirmait encore l’existence de ce québécois standard[...] et se plaignait que ce français québécois standard n’était pas encore décrit [...] La raison est simple : c’est que par expérience tout le monde sait que ce français québécois standard relève du mythe et qu’on ne peut trouver de spécificité québécoise que dans les registres familiers et populaires. (Le dictionnaire québécois d’aujourd’hui ou la description de deux chimères Martel et Cajolet-Lagnière 78)
Verreault et Mercier se méfient de toute publication qui classe la langue au Québec et le français standard comme deux langues distinctes. Comme ils l’expliquent, « une telle confusion ne pourra qu’embrouiller l’utilisateur éventuel qui, au bout de compte, ne saura plus très bien ce qui est québécois, sur le plan linguistique, et ce qui ne l’est pas. ». Ces deux linguistes se demandent en plus si des emplois aussi courants que tapis pour « moquette », tapisserie pour « papier peint » ou stationner pour « garer » (une voiture), devraient être des termes attestés puisqu’ils apparaissent dans la littérature québécoise. (« Opposer français « standard » et français québécois » Verreault et Mercier 6)
En dépit de tels points de vue, nous avons noté que les linguistes québécois, surtout au cours de la dernière décennie, produisent des oeuvres de haute qualité qui tentent de décrire la langue française au Québec. Deux œuvres importantes ont paru récemment : le Dictionnaire historique du français québécois de Claude Poirier en 1998 et Le dictionnaire québécois français de Lionel Meney en 1999. Ces deux dictionnaires démontrent une nouvelle direction où le lexique québécois est référé d’abord à lui-même; où la norme québécoise découle des usages linguistiques du Québec.
Michel Plourde, membre du Conseil de la langue française9, a souligné une évolution de perception d’une langue ‘complète et autonome’ dans son recueil Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie :
Enfin, la langue […] est sortie de l’ état de dépréciation et de subordination dans lequel elle se trouvait et semble s’orienter lentement, mais sûrement vers une forme de plus en plus standard, proche du français international. Après le siècle du French Canadian patois, après l’épisode du joual, la langue française du Québec, soutenue par l’intense activité terminologique et les travaux de linguistes qui ont recensé et structuré les éléments, se présente de plus en plus comme un système complet et autonome, capable de s’autoréguler et de répondre en même temps aux exigences d’intercompréhension de l’espace francophone. Elle est devenue aussi technologiquement outillée et porteuse d’une grande variété de produits culturels […] au terme de ces quatre cents ans d’histoire et de vie, la langue française, au Québec, est désormais une réalité incontournable. (Plourde 442)
Selon le Conseil de la langue française, les Québécois ne devront pas se juger à partir d’une norme venue de l’extérieur, car un tel comportement démontrerait un sentiment d’infériorité. Autrement dit, le français québécois n’est pas simplement formé de français additionné de plusieurs québécismes. En même temps, comme le linguiste québécois Jean-Guy Gendron le propose, il faut avoir une description des usages linguistiques sans faire une séparation linguistique par rapport au français international. (Martel et Cajolet-Lagnière 79)
1.2.1 La description différentielle et la méthode globale
Jusqu’à très récemment, la majorité des travaux consacrés à la description du français québécois est fondée sur une méthode différentielle ou comparative- elle étudie le français québécois vis à vis le français parisien. Cette approche linguistique traditionnelle adopte le français ‘standard’ à partir des usages qui ont cours en France. Si nous mettons cette méthode dans le contexte des langues anglaise ou espagnole, il faudrait limiter tout référent à un contexte anglais d’Angleterre ou à l’espagnol d’Espagne. En Amérique du Nord et Sud, une telle approche nous semblerait dépassée et inconcevable. Dans une telle optique, l’anglais, le français, l’espagnol et le portugais ne se réduiraient qu’aux langues des grammaires et des dictionnaires faits en Europe. Les autres usages standard et bien ancrés à l’extérieur d’Europe seraient alors marginalisés, menant à une propagation des sentiments d’insécurité linguistique. Et selon Noël Corbett, « dans un passé pas très éloigné, les comparaisons entre le FC [français canadien] et le FF [français de France] se faisaient systématiquement au détriment du premier. » (Corbett xix)
La méthode globale, par contre, considère le français québécois comme une variété nationale au même titre que l’anglais des États-Unis ou, à toutes fins pratiques, le français de France, ou de Belgique. Cette représentation met l’accent sur l’autonomie des langues nationales, complètes en elles. Au lieu de simplement identifier le lexique québécois à l’écart d’un lexique de la France, on le considère comme un usage ancré dans sa propre réalité géographique, historique, sociopolitique et connotative.
1.2.2 Vers un dictionnaire global du français québécois
En l’absence d’une explication et d’une description définitive d’un modèle québécois pour l’écrit, des linguistes québécois tels que Martel et Cajolet-Lagnière ont développé quatre alignements ou visions dans ce discours. La première option, c’est un alignement inconditionnel sur le français de Paris. Les tenants de ce mouvement croient que la seule option linguistique valable pour l’écrit au Québec est l’exemple de l’écrit du français de France. On appelle les tenants extrêmes de ce courant les puristes. Une deuxième vision qui est sortie d’un mouvement sociopolitique des années 1960 s’appelle le courant joualisant. Largement inspirés par la littérature politisée, les tenants de cette option présentent le joual (une classification d’un niveau de langue familière) comme langue propre aux Québécois. Une troisième option, le courant québécisant, est présentée par la position prise par des rédacteurs du Dictionnaire du français plus de Claude Poirier et du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui de Jean-Claude Boulanger. Ces lexicographes partagent l’opinion que la langue du Québec peut rester indépendante du français de France. Ils veulent promouvoir la légitimation de la langue au Québec en supprimant toutes marques de registres ou d’origine géographique des mots. Autrement dit, tout fait partie du lexique québécois. Martel et Cajolet-Lagnière indiquent que ce courant a rencontré beaucoup d’hostilité car cette approche empêche le lecteur de savoir si les mots sont communs ou non avec le français à l’extérieur du Québec. À partir de ces trois courants de pensée, une autre vision plus réaliste et plus modérée a évolué: celle tenue par des aménagistes. En bref, cette approche propose que le français québécois standard est le français tel qu’il est écrit (et parlé) par les Québécois bien scolarisés. Selon Martel et Cajolet-Lagnière, ce groupe moderne est « l’élite intellectuelle, politique et scientifique québécoise, qui possède un français de qualité tout en incluant dans leurs discours des mots, des expressions, des références, des sens différents du français de France. » (Martel et Cajolet-Lagnière 95)
Claude Verreault et Louis Mercier critiquent le Dictionnaire Québécois Français (DQF) de Lionel Meney, décrivant comment ce dernier présente une image controversable, « non seulement de la variété québécoise de français mais aussi de l’univers culturel qu’elle exprime. » (Verreault et Mercier 2) En plus, ils prétendent que Meney crée une illusion que le québécois et le français sont deux langues distinctes. Ainsi, son dictionnaire adhérerait au courant québécisant. Toutefois, Meney admet que:
Le québécois n’est pas une langue à part, totalement différente du français : il partage avec celui-ci son système phonologique, l’essentiel de son système morphologique, de sa syntaxe et de son vocabulaire. En fait, il se distingue du français standard principalement par sa prononciation et une partie (certes importante) de son vocabulaire et de sa phraséologie. (Meney Dictionnaire du français v-vi)
Toutefois, Verreault et Mercier notent que, malgré cette reconnaissance de principe, la direction prise par Meney dans son oeuvre basée sur un « modèle d’un dictionnaire bilingue » donne lieu à beaucoup d’ambiguïté. Ils critiquent, par exemple, que Meney suggérerait que le mot autobus connaîtrait seulement le genre féminin et que le substantif radio ne connaîtrait que le masculin dans leur variété québécoise. En réalité, ces deux mots sont peut-être plus souvent employés dans leur genre standard que dans leur déviation au Québec. Ainsi, l’approche de Meney crée une confusion : « [cela] ne pourra qu’embrouiller l’utilisateur éventuel qui, au bout de compte, ne saura plus très bien ce qui est québécois, sur le plan linguistique, et ce qui ne l’est pas. » (Verreault et Mercier 6) Dans le même ordre de pensée, le dictionnaire de Meney peut être critiqué car « aucune distinction n’est faite entre les faits idiolectaux. » (Verreault et Mercier 11)
Verreault et Mercier se plaignent qu’il y a trop de ‘dictionnaires’ folkloriques, humoristiques, et différentiels du ‘québécois’ (cf. Le québécois poche, 1998, Le québécois pour mieux voyager, 1999, DQF, 1999) :
[ces dictionnaires] ne parviennent à présenter aux Québécois qu’une image dévalorisante de leur variété de français, ce qui entretient forcément chez eux l’insécurité linguistique dont ils souffrent tant. D’autre part, en raison de la difformité même de cette image, ces ouvrages continuent à induire en erreur bien des étrangers qui en arrivent à fantasmer une variété qui n’existe en fait nulle part mais qui, [une fois arrivés au Québec] sont surpris de découvrir que, tout compte fait, c’est bien le français que l’on y parle. (Verreault et Mercier 21)
En effet, nous pouvons critiquer l’approche différentielle que suit le DQF car ce dictionnaire va à contre-courant de la pensée dominante actuelle parmi des spécialistes en langue au Québec. Depuis une décennie, les linguistes québécois entreprennent une description globale du français au Québec comme une variété autonome de français. Ces linguistes espèrent que le prochain dictionnaire qui arrivera sur le marché sera celui qui représentera la langue française au Québec comme une variété aussi valable que n’importe quelle autre variété géographique de cette langue. Dans leur projet, par exemple, le mot chiropratique serait marqué avec le titre ‘un particularisme standard’ du Québec, ainsi que le mot chiropraxie serait marqué comme ‘recommandé officiellement en France’. Évidemment, un mot comme spécialiste n’aurait pas de marque car c’est une expression partagée par l’ensemble des francophones.
Le tableau (Figure 1) qui suit, présenté par Verreault et Mercier, illustre une approche différentielle et traditionnelle qui réduit la langue française au Québec à la somme de ses particularismes. Avec une telle représentation, nous pourrions stigmatiser leur langue d’un registre familier qui maintient peu de liens avec le français parlé et écrit en France. Autrement dit, une fausse image est créée d’un groupe linguistique peu évolué, peu instruit, limité et grossier. Nous remarquons qu’une telle optique projette en plus une fausse représentation de la réalité linguistique en France car aucune marque de registre n’est spécifiée.
Figure 1
Le français et sa variation :
représentation traditionnelle
LE FRANÇAIS DE FRANCE LES QUÉBÉCISMES
(français standard)
Je me suis fait déranger Je me suis fait achaler
Je me suis fait importuner Je me suis fait bâdrer
Je me suis fait embêter Je me suis fait écoeurer
Je me suis fait enquiquiner
Je me suis fait emmerder
Je me suis fait casser les couilles
(tiré de Opposer français « standard » et français québécois de Verreault et Mercier 22)
Une meilleure représentation bien plus rapprochée du réel est proposée dans le prochain tableau (Figure 2). Verreault et Mercier proposent cette deuxième figure à partir du principe que « toutes les communautés socioculturelles de la grande communauté linguistique francophone ont le français de partage, mais qu’en raison de l’histoire singulière de chacune de ces communautés, le français s’est développé d’une façon particulière. » (Verreault et Mercier 23) Ainsi, les mots considérés comme appartenant au ‘français standard’ en France (importuner, déranger, embêter) n’appartiennent pas moins au français du Québec que des ‘québécismes’ (achaler, écoeurer, bâdrer). Les écrivains et les locuteurs québécois ont accès à l’ensemble des ressources en fonction du registre ou de la situation de communication qu’ils visent. Par contre, l’emploi des ‘francismes’ (enquiquiner, casser les couilles) serait extrêmement rare et même maladroit au Québec.
Figure 2
Le français et sa variation :
nouvelle représentation [globale]
Francismes Emplois communs (France et Québec) Québécismes
achaler (-) casser les couilles (--)
déranger bâdrer (-)
embêter écoeurer (--)
emmerder (--)
Emplois valorisés ou non marqués (+)
Emplois marqués (-)
(tiré de Opposer français « standard » et français québécois de Verreault et Mercier 23)
Nous pouvons constater par cette dernière image globale que le français est le moyen d’expression partagé par les Québécois et les Français. Cette représentation démontre la nature des liens lexicaux qui sont partagés et ceux qui sont propres aux deux communautés. Ainsi, elle présente le français de France, la variété dominante, comme l’une des diverses variétés actuelles de cette langue. Encore une fois nous pouvons faire une extension à la réalité linguistique entre l’anglais fonctionnel en Grande-Bretagne et la variété géographique de cette langue en Amérique du Nord.
II. Des particularités de l’usage du français standard au Québec
2.1 La Grammaire et la syntaxe
Évidemment, le français écrit utilisé au Québec est conforme aux règles traditionnelles de la grammaire et de la syntaxe du français de France. Cependant, nous pouvons observer un certain nombre d’écarts parmi lesquels plusieurs sont normalisés au Québec et ainsi approuvés par le Ministre de l’Éducation et par l’Office de la langue française.
Quand on examine le français au Québec, on constate que les études en lexicologie et en phonétique sont beaucoup plus nombreuses que les études en morphologie et syntaxe. Corbett explique cette tendance:
[C]’est sur les plans du vocabulaire et de la prononciation que les Franco-Canadiens ont toujours pris conscience de leur spécificité linguistique; leur intérêt se porte encore tout naturellement vers ces deux domaines. [...] les Franco-Canadiens [...] sont généralement enclins à nier l’existence d’une grammaire indigène distinctive. Il n’y aurait - selon la sagesse commune - qu’une seule grammaire française possible, celle de la langue [...] traditionnelle et standardisante. Ainsi, les écarts de ladite norme grammaticale - de caractère essentiellement populaire - seraient tous bons à réprimer, a priori. (Corbett xxii)
En dépit de la grammaire traditionnelle, les Québécois, comme tout autre groupe linguistique, développeront leur propre mode d’expression, leurs propres particularités linguistiques.
Martel et Cajolet-Laganière donnent comme exemple le mot inuit qui est, selon le Nouveau petit Robert, un mot invariable en genre. Dans le NPR, nous voyons la phrase ‘la civilisation inuit’. (NPR 1351) Pourtant, sur le site de l’OLF, on trouve les commentaires suivants:
Rappelons d'abord que les Inuits (prononcer i-nou-it') sont un peuple autochtone d'origine asiatique habitant les régions arctiques du Canada, ainsi que le Groenland, la Sibérie et l'Alaska. Inuit prend[...] un ‘e’ au féminin et un ‘s’ au pluriel, qu'il soit un nom ou un adjectif. Ainsi, on écrit : un Inuit, une Inuite, des Inuits, la culture inuite, des enfants inuits, des valeurs inuites. (www.olf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/faq/852a.html)
Nous remarquons une autre particularité québécoise en ce qui concerne la distinction masculine/féminine qui s’applique aux mots empruntés à l’anglais. Selon Robinson Sinclair dans son court Dictionnaire du français canadien, « la moitié [de ces emprunts] prennent le genre féminin: job, shop, joke. Cela représente une situation très différente de celle qui existe en France où les anglicismes récents prennent généralement le masculin. » (Robinson 243)
Dans le français au Québec, il y a une tendance générale de renforcement pronominal: moi, je veux ; toi, tu parles ; nous, on aime; eux, ils ont ou pareillement vous autres, vous allez ; eux autres, ils vont. Ici, il est évidemment question de vouloir indiquer la personne et le nombre: on (est-ce «quelqu’un» ou «nous»?); vous (est-ce la forme de politesse ou la forme du pluriel?). Autrement dit, la grammaire traditionnelle pourrait être modifiée à fins pratiques.
Dans la typographie, il y a de nombreuses différences vis-à-vis les conventions retenues en France qui selon l’Office de la langue française sont normalisées au Québec. Les exemples touchent les particularités en ce qui concerne les noms de sociétés, les noms géographiques, les titres de films et d’oeuvres littéraires, les établissements d’enseignement, parmi d’autres. Nous pouvons aussi noter qu’au Québec les majuscules gardent les accents, le tréma et la cédille. Encore une fois, l’Office de la langue française a approuvé de nombreuses spécificités toponymiques. Par exemple, sans refuser les abréviations pour boulevard en France (bd ou Bd), la Commission de toponymie du Québec privilégie l’abréviation boul. (Martel 98)
Une spécificité dont les Québécois sont fiers est la féminisation des titres. C’est un point sur lequel les Québécois se distinguent considérablement des Français. Au Québec, il est très courant d’entendre les femmes se présenter comme agente de voyage ou avocate. Voici des raisons que l’OLF donne pour une telle normalisation:
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à exercer des professions qui étaient auparavant réservées aux hommes. Cette réalité sociale a des répercussions sur l'usage linguistique puisque le français est une langue dans laquelle les genres sont différenciés. (Bibliothèque virtuel de l’OLF 376a) La féminisation des titres et fonctions est donc conforme à la grammaire française au Québec.
Il est intéressant de noter qu’en Suisse et en Belgique la position sur la féminisation ressemble à celle du Québec. Quant à la France, l’Académie française se prononce formellement contre ce modèle. Maurice Druon, dans une lettre officielle de l’Académie française, a exprimé ses regrets que le Conseil de la Communauté française de Belgique « jette ainsi la confusion dans la langue et dans l’usage » et que l’Académie « considère que cette féminisation est abusive et choquante. » L’Académie propose soit que les titres restent non marqués ou qu’on adopte une forme féminine du titre telle que ‘Madame le maire’ ou ‘Madame le ministre’. Ainsi le Québec a une vision de la féminisation qui diffère de celle de la France10 et cette vision fait maintenant partie du ‘bon usage’ du français québécois standard. (Martel 107)
Pierrette Vachon-L'Heureux, membre de l’Office de la langue française déclare d’un ton fier :
Même si certaines résistances se manifestent encore, la féminisation des appellations d'emploi et des titres de fonction est une réalité de mieux en mieux intégrée à nos habitudes langagières. Le Québec a été à l'avant-garde de ce mouvement, reflet d'une réalité qui prendra sans doute encore plus d'ampleur au XXIe siècle : le rôle de premier plan des femmes à tous les échelons de la vie sociale, économique et politique. (http://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dossiers_linguistiques/francais/femmes_pvl.html)
2.2 Le lexique
Toutes ces spécificités grammaticales ne sont pas aussi importantes ou nombreuses que les écarts lexicaux. Pour maintes raisons historiques et socio-culturelles, les Québécois ont développé de nombreuses particularités dans l’emploi du vocabulaire. Ces écarts touchent l’évolution des mots nouveaux. Par exemple, le terme ‘courriel’ en a connu une célébrité11 et des sens nouveaux qui, tous les deux, correspondent à un référent et un contexte québécois. Martel souligne cette réalité:
Ces ‘écarts’ relevés aux niveaux écrit et soutenu entre le français de référence et celui du Québec sont, en réalité, des marqueurs strictement d’ordre linguistique. Ils prouvent l’existence d’au moins deux codes d’écriture acceptés en français. Outre cette différence, importante tout en étant quantitativement limitée, nous notons par ailleurs un nombre impressionnant d’écarts dans l’emploi du vocabulaire. Nous constatons, en effet, que si nous possédons la même langue en France et au Québec, nous n’utilisons pas toujours les mêmes mots et nous accordons à des mêmes mots des sens différents. (Martel 99)
Un exemple tiré de la littérature québécoise qui illustre cet écart lexicologique entre les variétés du français est dans la forme pronominale du verbe ‘s’écarter’. Au Québec, ce verbe prend en plus le sens de ‘se perdre’. On le trouve dans le roman Maria Chapdelaine :
[…] il ne répondit qu’après quelques instants de silence à voix basse:
- Il s’est écarté….
Des gens qui ont passé toute leur vie à la lisière des bois canadiens savent ce que cela veut dire. Les garçons […] qui se trouvent écartés – perdus - ne reviennent guère. (Louis Hémon 82)12
Martel et Cajolet-Laganière concluent qu’« aucun texte n’est neutre: dans chacun d’eux, on relève des marques linguistiques, révélant que l’auteur est un Québécois ou une Québécoise. » (p 96) Chaque texte, surtout ceux qui n’ont pas été édités par une maison d’édition en France, démontrent de nombreux usages québécois. Roch Carrier semble préférer écrire au passé composé (cf. Fin), Hubert Aquin sacre ‘en bon québécois’ (cf. Trou de mémoire), et Dany Laferrière (cf. Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer) emploie les spécificités lexicales autour des repas :
C'est un fou de jazz, ce type, et c'est sa semaine Parker. La semaine d'avant, j'avais déjeuné, dîné, soupé Coltrane et la, maintenant, voici Parker. (Laferrière 1)
Certes, des particularités lexicologiques en usage dans la langue française standard au Québec sont riches et variées. Nous présentons quelques exemples dans la Figure 3. Cependant, si nous considérons la totalité des mots français, nous constatons que « le pourcentage de vocabulaire du français québécois qui diffère de celui du français de France est minime. » (Robinson viii) Pourtant, comme nous pouvons le constater par la figure suivante, ces plusieurs milliers de mots d’usage privilégié au Québec sont utilisés très fréquemment.
Figure 3: Quelques particularités du lexique au Québec
Thèmes
Au Québec 1
En France
(et au Québec) 2
Culture
et
vie sociale
cabane à sucre
âge d’or
téléjournal
déjeuner
sucrerie d’érable
troisième âge
journal télévisé
petit déjeuner
Éducation
baccalauréat
finissant
cégep
commission scolairelicence
élève de fin d’études
école préuniversitaire
conseil scolaireFaune
et
flore
caribou
orignal
huart/huard
bois-francsrenne du Canada
élan(d’Amérique)
plongeon arctique
arbres à feuillage caduc
Économie
dépanneur
caisse populaire
gager
dépôt direct
guichet automatique épicier du coin
banque populaire
parier
virement automatique
billetterie
Géographie
rang
habitant
paroisse
C.-B. chemin de campagne
colon; fermier
municipalité rurale
B.C.Jeux
et
divertissements
brasser (les cartes)
souque à la corde
machine à boules
musique western mêler, battre
lutte à la corde
billard électrique, flippers
musique des cow-boys
Nourriture
bleuets
crème glacée
pain français
cretons
myrtilles
glace
pain blanc
sorte de rillettes
Divers
borne-fontaine
chiropratique
débarbouillette
camisole(f)bouche d’incendie
chiropraxie
gant de toilette
gilet(selon le DPR, camisole est un mot vieilli)
1. Il arrive que les mots apparaissant dans cette colonne soient utilisés en France, mais leur emploi est beaucoup plus répandu au Québec. (Sources: NPR; Robinson, Dictionnaire français canadien; Martel et Cajolet-Laganière, Quelle langue pour l’avenir).
2. La majorité des mots dans cette colonne sont utilisés à la fois en France et au Québec, mais d’un usage plus limité au Québec. (Sources: NPR; Robinson, Dictionnaire français canadien; Martel et Cajolet-Laganière, Quelle langue pour l’avenir).
2.3 Les anglicismes et les calques
C'est un phénomène bien connu que le français du Québec, ainsi que bien d’autres langues à leur tour, ont emprunté à l'anglais des mots, des expressions toutes faites, et même des tournures ou des structures. Le commerce (et son grand prestige) est passé très tôt entre les mains des anglophones au Québec. D’ailleurs, le grand nombre d'anglophones en Amérique du Nord et la grande diffusion de leur culture populaire ont contribué aux anglicismes et calques dans le français au Québec.
Les anglicismes peuvent se glisser dans la langue assez subtilement surtout quand ces mots se rapprochent des termes français. Ces mots et expressions sont, pour la plupart, critiqués par le Conseil de la langue quand ils prennent la place d'une expression ou d’un mot français, autrement dit, quand le français risque de perdre son originalité et sa communicabilité. Quelques exemples d’anglicismes ainsi critiqués seraient: mettre l'emphase sur pour ‘mettre l'accent sur’, éligible pour ‘admissible’, définitivement pour ‘certainement’.13
Françoise de Labsade note que les intellectuels et les comités de normalisation sont vigilants devant le contact permanent avec l'anglais au Québec:
Le problème avec les anglicismes est que le français perd […] un vocabulaire propre, souvent clair et nuancé, au profit de termes ou de structures d'une autre langue [...]. Beaucoup de Québécois, intellectuels, professionnels et gens cultivés regardent cela avec inquiétude et désapprobation. Aussi les comités de normalisation de la langue recommandent-ils de suivre des normes qui sont celles de l'usage international dans la plupart des cas. Les grammairiens, les fabricants de dictionnaires fixent des normes qu'il est sage de respecter si l'on veut que la communication s'établisse facilement avec le plus grand nombre d'interlocuteurs possibles. (de Labsade 90)
Françoise de Labsade présente trois solutions au problème de l'influence de l'anglais sur le français. Premièrement, certains terminologues suggèrent la francisation du mot anglais quand c'est possible, simplement en l’écrivant à la française (chef de gang, du leadership). Une deuxième solution consiste à employer un mot moins commun ou un mot avec un nouveau sens (magasinage plutôt que ‘shopping’; vol nolisé plutôt que ‘charter’) ou à utiliser un mot qui est tombé en désuétude (stationnement plutôt que ‘parking’). La troisième solution mentionnée par de Labsade serait la création d’un néologisme français au lieu d'emprunter un nouveau terme anglais. Nous avons remarqué que le Québec joue assez souvent un rôle innovateur pour toute la francophonie à cet égard. Le vocabulaire que Hydro-Québec utilise dans le domaine de l'électricité et les néologismes qui expriment les technologies concernant l'informatique sont parmi des termes recommandés récemment par l'Académie en France. De Labsade affime même que le Québec est ainsi bien placé pour être « en première ligne pour la défense du français. » (De Labsade 91)
Il est évident que les Québécois, au courant du fait que les anglicismes sont très fréquents dans le français parlé de certains milieux, se méfient des emprunts de l’anglais. Même si certains emprunts peuvent être considérés comme un enrichissement de la langue, les anglicismes représentent une présence dominante et la plupart des Québécois essaient de les éviter dans l’usage standard, surtout dans un registre plus soutenu. Ainsi, même s’ils sont assez nombreux dans le langage familier et la langue parlée, l’utilisation des anglicismes est relativement rare dans des textes littéraires québécois ou dans la presse. Martel et Cajolet-Laganière font remarquer de plus que la spécificité de la norme de la langue au Québec est présente dans le choix des anglicismes et des calques:
On trouve abondamment dans les textes les plus ‘corrects’ de France des mots comme ferry-boat, bowling, sponsor ou sponsoriser, stick, escalator, light, green(au golf), free-lance et autres, alors qu’ au Québec, on utilise plutôt traversier, salle de quilles, commanditer/parrainer, bâton désodorisant, escalier mobile, légère (bière), vert (au golf) et pigiste. » (Martel et Cajolet-Laganière 110)
Nous ne suggérons pas que Martel et Cajolet-Laganière proposent que les Québécois aient moins d’emprunts de l’anglais que les Français de France, mais simplement que leurs choix d’emprunts sont souvent différents. En France, les termes shopping, parking, week-end, e-mail sont l’employés couramment tant dans les conversations familières que dans les communications officielles. Au Québec, par contre, tout emprunt direct à l’anglais est suspect. Si nous nous fions aux recommandations de L’OLF, le rejet de certains anglicismes (petit change, agenda, admission, etc.) fait partie de la norme du français québécois.
L’ouvrage Problèmes de langage au Québec et ailleurs de Louis-Paul Béguin nous offre une optique très intéressante vis-à-vis le mouvement vers une normalisation de la langue française au Québec. Dans son introduction, Béguin dit qu'il ne faut pas « tomber dans le purisme » et qu’au lieu de condamner, il faut « éclairer ». Cependant, même s’il dit qu’il veut simplement ‘éclairer’ le passage sur quelques éléments fautifs du français au Québec et ailleurs , son ton autoritaire et son mépris pour tout ce qui est d'une spécificité québécoise révèlent ses tendances puristes. Par exemple, il ridiculise le calque ‘fin de semaine’ préférant l'anglicisme 'week-end' (« le jour du Seigneur » étant « le premier jour de la semaine »), il préfère le mot myrtille au mot bleuet (« Littré nous dit que le mot bleuet est le nom vulgaire de l'espèce »), et il se moque du terme ‘pâté chinois’ (« il n'est pas tout à fait un pâté, et il n'a de chinois que le nom »). Il propose que ce repas est déjà nommé le ‘hachis Parmentier’, un repas « bien connu en France ». Quant à la féminisation des titres, il ne voit aucune discordance dans le terme ‘Madame le ministre’. (Béguin pp.1 à 12)
Béguin, qui a écrit cette oeuvre il y a deux décennies, se dit heureux que « depuis quelques années des linguistes traditionnels, des traducteurs, des spécialistes et de nombreux enseignants ont entrepris une oeuvre de normalisation, d'épuration et d'enrichissement du français. » (Béguin 13) Nous nous demandons si ce membre de « l'Académie canadienne française » serait tout à fait satisfait de la direction prise par ces spécialistes et linguistes québécois au cours des deux dernières décennies vers la normalisation de nombreuses particularités de la langue française au Québec.
Conclusion
En réfléchissant aux commentaires puristes tels que ceux qui sont proposés par Béguin, nous pouvons nous poser quelques questions: est-ce que les Québécois devraient «purifier» tout mot à l’origine canadienne ou encore tout mot qui est tombé en désuétude à Paris? En plus, comment décider quels calques ou quels emprunts de l’anglais devraient être critiqués ou acceptés? Est-ce que le long bras de l'Académie française devrait avoir la préséance sur toute autonomie linguistique des variétés régionales en dehors de l’Hexagone? Notre recherche, quoique limitée, suggère que des linguistes Québécois (tels que Martel, Cajolet-Laganière, Corbett, Corbeil, Juneau, Verreault et Poirier) sont actifs à trouver des réponses. Ces spécialistes se sont abondamment prononcés, identifiant l’existence d’une norme propre au français québécois. En effet, je me déclare, avec eux, partisan de ce courant anti-puriste.
Si l’on se fie au nombre de critiques du français au Québec; si l’on suit le pendule entre des publications puristes telles que Les insolences du Frère Untel et Anna braillé ène shot d’une part et les oeuvres de défense de la langue québécoise telles que Le français au Québec: 400 ans d’histoire d’autre part, on constate que les Québécois ont un amour des discussions sur la langue. Les publications de nouveaux dictionnaires font la manchette, les débats langagiers se font régulièrement dans les médias ainsi que dans la conversation quotidienne. Cette préoccupation de la langue se partage évidemment avec les Français. Corbeil remarque que, des deux côtés de l’Atlantique, « nous payons ce luxe de parler la langue la plus normalisée, la plus centralisée et, pourtant, d’en discuter tout le temps. Le laxisme et le purisme, ce sont pour nous des sports. » (Corbeil, Description des options linguistiques de l’office de la langue française 13)
Nos propos nous invitent à considérer le français du Québec comme une variété du français au même titre que les autres variétés géographiques de cette langue, y compris la variété dominante de la France. Ainsi, les particularités linguistiques québécoises sont une source de fierté, car ces spécificités ne sont qu’une extension, un complément régional à la richesse de l’ensemble des ressources de la langue française.
Nous avons présenté le français au Québec comme la langue d’une communauté linguistique qui n’est pas sujet à une description d’écart du français de la France. Les linguistes québécois désirent plutôt mettre l’accent sur l’autonomie régionale par une analyse globale de leur langue. Un grand nombre d’usagers cherchent des guides, des instruments de référence, des critères de conduite. Nous proposons qu’un dictionnaire global, complet de haute qualité du français au Québec mènera à l’épanouissement linguistique des Québécois.
Quant à l’enseignement du français au Québec (et au Canada14), il est juste de souhaiter que les étudiants apprennent à parler et à écrire à la manière québécoise standard. Cependant, il faut noter qu’un étudiant canadien en France doit parler « d’aiguilles (à tricoter) » et non de broche, d’un « épicier du coin » au lieu d’un dépanneur, d’une « bouche d’incendie » et non d’une borne-fontaine s’il veut être bien compris. Ainsi qu’ un étudiant en anglais arrivant en Angleterre fait mieux d’employer « phone box » et non phone booth, « lift » au lieu de elevator, « pavement » et non sidewalk. Nous apprenons une langue pour communiquer avec et s’identifier à un groupe cible. Apprendre une langue avec ses spécificités régionales va de soi. En voyageant, en changeant de groupe, nous pouvons toujours ajuster notre savoir. Agrandir son vocabulaire, selon le besoin, est un phénomène normal et valorisant.
Ce mémoire a tenté d’ajouter un mot au dialogue qui semble avoir comme but d’avancer le sentiment de sécurité linguistique des locuteurs et des enseignants québécois, surtout lorsqu’ils font face à des choix linguistiques et qu’ils cherchent sur quelle légitimité les fonder. L’avenir du français au Québec est prometteur: le Québec est une société avancée et énergétique avec un esprit avant-gardiste. De plus, si nous pouvons nous fier à la qualité et au nombre de critiques linguistiques à propos du français au Québec, et à la fierté en sa richesse, les Québécois semblent plus sûrs que jamais de leur langue.
Notes
1. Citation tirée de Labsade, Françoise Tétu de. Le Québec: un pays une culture p 85.
2. Les travaux du linguiste Terry Mildane, spécialiste en prononciation, constituent une approche intéressante qui dépasse, malheureusement, les limites de cette étude.
3. Dans le DPR, le terme ‘dialecte’ est défini ainsi : « forme régionale d’une langue considérée comme un système linguistique en soi ». Selon l’Office québécois de la langue française, un sociolecte constitue un « Ensemble de termes et de règles linguistiques utilisées dans un groupe social donné. On classe ainsi les argots, les langues de spécialité, les vocabulaires techniques.» (http://www.clf.gouv.qc.ca/)
4. Nous employons des mots en italiques pour signaler une spécificité québécoise. Si ce sont des mots qui n’ont aucune marque de particularité, ce mémoire les laissera comme tels. Si un mot reflète une spécificité française, on le met en guillemets.
5. Jean-Claude Corbeil discute la ‘norme linguistique’ au Québec dans son article «Une langue qui se planifie,» Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie. Éd. Michel Ploudre. Québec: Les Éditions Fides, 2000.
6. L'Office québécois de la langue française est composé de huit membres dont un président (ou une présidente) nommés par le gouvernement pour un maximum de cinq ans.
7. Il faut noter que quelques termes qui sont désuets en France, considérés vieillis par le DPR, sont toujours en usage standard au Québec.
8. Claude Verreault et Louis Mercier discutent leur opposition à la présentation du Dictionnaire québécois français. Verreault considère la présentation « ambiguë » de ce dictionnaire comme « un recul important aux acquis récents de la lexicographie québécoise. » (Verreault et Mercier 3)
9. Le Conseil de la langue française est l'organisme chargé de conseiller le ministre responsable de la Charte de la langue française sur la politique québécoise de la langue française et sur toute question relative à l'interprétation et à l'application de la loi. (http://www.clf.gouv.qc.ca/)
10. Il faut noter que le gouvernement français de Lionel Jospin a adopté quelques modifications similaires à la politique de féminisation des titres au Québec. En 1999, son gouvernement a publié un Guide d’aide à la féminisation qui suggère les principes de la féminisation par article, de l’ adjonction d’un ‘e’, et de la féminisation de quelques titres en ‘eur’. (Meney 813)
11. cf. Académie française picks Québec’s word for e-mail instead of France’s dans le National Post Vol.5 #217 July12, 2003.
12. Il faut préciser ici que Louis Hémon est un auteur français qui est venu vivre au Canada.
13. En 1975, Geneviève Offroy a étudié des centaines d'articles trouvés dans la presse québécoise. Elle en a examiné les journaux afin d’identifier ‘des écarts de la syntaxe française d'aujourd'hui’ et a conclu que:
« les écarts syntaxiques que nous avons relevés sont avant tout des archaïsmes et des dialectalismes et que l'influence de l'anglais reste somme toute marginale. » (Juneau, Marcel et Georges Stanka. Travaux de linguistique québécoise vol. 1 p 301)
14. Ce mémoire favorise l’enseignement du français standard du ‘modèle québécois’ aux étudiants partout au Canada car une langue peut servir évidemment comme outil de cohésion. Michel Ploudre souligne cette approche:
« La valeur d’une langue lui vient surtout de ce qu’elle représente : un peuple, son patrimoine, son dynamisme […] Une langue n’est pas seulement un système de communication, elle est aussi et surtout un lieu de cohésion, de repères, de valeurs. En un mot, la langue est au cœur de l’identité. » (Ploudre 443)
15. Commentaires tirés de Labsade, Françoise Tétu de. Le Québec: un pays une culture p 88.
Bibliographie
Oeuvres littéraires mentionnés
Aquin, Hubert. Trou de mémoire. Montréal : Leméac Éditeur, 1993 (première parution: 1968)
Archambault, Gilles. Les maladresses du cœur. Québec : Les Éditions du Boréal,
1998.
Carrier, Roch. Fin. Louiseville: Les éditions internationales Alain Stanké, 1992.
-----. Les enfants du bonhomme dans la lune. Québec: Les éditions internationales Alain Stanké, 1998. (première parution: 1978)
Desjardins, Richard. Paroles de chansons. Montréal: VLB Éditeur, 1991.
Hémon, Louis. Maria Chapdelaine. La bibliothèque électronique du Québec, 2005. (première parution: 1914)
Laferrière, Dany. Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Montréal: VLB Éditeur, 1985.
Ouvrages portant sur le français au Québec
Béguin, Louis-Paul. Problèmes de langage au Québec et ailleurs. Montréal : Les Éditions de l’Aurore, 1978.
Corbeil, Jean-Claude. «Une langue qui se planifie,»Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie. Éd. Michel Ploudre. Québec: Les Éditions Fides, 2000.
--------. Description des options linguistiques de l’office de la langue française. Bloomington : Éditeur officiel du Québec, 1974.
Corbett, Noël, éd. Langue et identité: le français et les francophones d’Amérique du Nord. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1990.
Desbien, Jean- Paul. Les insolences du Frère Untel. Montréal: Les Éditions de L’Homme, 1960.
DesRuisseaux, Pierre. Le livre des expressions québécoises. Ville LaSalle : Éditions Hurtubise Limitée, 1979.
Dor, Georges. Anna braillé ène shot (Elle a pleuré beaucoup). Outremont: Lanctôt Éditeur, 1996.
Juneau, Marcel. Problèmes de lexicologie québécoise. Québec: Les presses de l’Université de Laval, 1977.
Juneau, Marcel et Georges Stanka. Travaux de linguistique québécoise vol. 1. Québec: Les presses de l’Université de Laval, 1975.
Labsade, Françoise Tétu de. Le Québec: un pays une culture. Québec: Les Éditions du Boréal, 1990.
Léard, Jean-Marcel. Travaux de linguistique québécoise. Québec: Les presses de l’Université de Laval, 1983.
Martel, Pierre, et Hélène Cajolet-Laganière. «Quelle langue pour l’avenir.» Le français au Québec: 400 ans d’histoire et de vie. Éd. Michel Ploudre. Québec: Les Éditions Fides, 2000.
--------. Le français québécois: usages, standard et aménagement. Québec: Les presses de l’Université de Laval, 1996.
Maurais, Jacques. «État de la recherche sur la description de la francophonie au Québec.» Le français dans l’espace francophone. Robillard de, Didier, et Michel Beniamino, éd. Paris: Éditeur Champion, 1993.
Ostiguy, Luc. Le français québécois: normes et usages. Montréal: Guérin éditeur, 1993.
Ploudre, Michel, éd. Le français au Québec: 400 ans d’histoire et de vie. Québec: Les Éditions Fides, 2000.
Santerre, Laurent. «Le français québécois: langue ou dialecte?» Langue et identité: le français et les francophones d’Amérique du Nord. Corbett, Noël, éd. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1990.
Simard, Claude. Les besoins lexicographiques du milieu de l’enseignement du Québec dans Dix études portant sur l’aménagement de la langue au Québec, Conseil de la langue français. 1990
Verreault, Claude. «L’enseignement du français en contexte québécois: de quelle langue est-il question?» La norme du français au Québéc. Perspectives pédagogiques. Québéc: Éditeur officiel du Québéc, 1999.
Verreault, Claude, Claude Poirier, et Lionel Boisvert. La lexicographie québécoise: bilan et perspectives. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1986.
Oeuvres grammaticales
Charmeux, Eveline. Le ‘bon’ français… et les autres. Normes et variations du français d’aujourd’hui. Milan: Éditions Milan, 1989.
Corson, David. Language diversity and education. New Jersey: Lawrence Erlbaum Associates, 2001.
Duneton, Claude. Le guide du français familier. Londrai: Éditions du Seuil, 1998.
Dictionnaires
Béliveau, Marcel, et Sylvie Granger. Savoureuses expressions québécoises. Monaco: Éditions du Rocher, 2000.
Bergeron, Léandre. Dictionnaire de la langue québécoise. Montréal: VLB Éditeur, 1980.
Colin, Jean-Paul. Dictionnaire de l’argot. Paris: Larousse, 1994.
Dagenais, Gérard. Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada. Boucherville: Les Éditions Françaises, 1984.
Littré, É. Dictionnaire de la langue française, Paris: Librairie Hachette, 1882.
Meney, Lionel. Dictionnaire québécois français. Montréal: Guérin, 1999.
Poirier, Claude. Dictionnaire québécois français plus. Québec: CEC, 1988.
Poirier, Claude. Dictionnaire historique du français québécois. Sainte-Foy: Les Presses de l’Université Laval, 1998.
Rey, Alain, et Josette Rey-Debove. Le nouveau petit Robert de Paul Robert. Paris: Dictionnaires Le Robert, 2000.
Robinson, Sinclair, et Donald Smith. Dictionary of Canadian French. Toronto: Stoddart Publishing Co. Limited, 1990.
Sites
http://www.oqlf.gouv.qc.ca/
Appendices
Annexe 1
La poésie populaire
Exemples d'expressions québécoises communes
(tirés de Le livre des expressions québécoises par Pierre DesRuisseaux
« [..] Si on désire connaître et comprendre fondamentalement une langue, il importe d'en connaître aussi les expressions,les locutions et comparaisons particulières [...]. Car il s'agit bien finalement, lorsqu'on parle plus spécifiquement d'expressions et de locutions, de conventions linguistiques et idéologiques précises qui, si elles sont valables et valorisées dans un contexte géographique et culturel délimité, deviennent insensées dans une autre culture et en un autre lieu [...]. Au Québec, on affectionne tout particulièrement ce genre d'énoncés, probablement parce qu'il constitue un moyen facile et économique d'exprimer par association de termes particuliers une idée précise [..] dont le sens serait immédiatement et expressément perceptible.[..] » (DesRuisseaux 7)
* Air. Faire de l'air. ( S'éloigner, partir rapidement). En France, on dira partir en coup de vent dans un sens légèrement différent.
* Ane. Lâche comme un âne. (paresseux à l'extrême)
* Ange. Avoir une voix d'ange. (posséder une voix harmonieuse); belle ou beau comme un ange (radieuse, radieux); douce ou doux comme un ange (d'une douceur angélique); sage comme un ange ou sa variation, sage comme une image (très sage)
* An quarante. S'en moquer comme de l'an quarante. (S'en ficher éperdument)
Ce proverbe a comme origine une prédiction que l'an 1740 verrait des événements terribles, désastreux, à la fin du monde même, disaient quelques-uns. 1740 a passé et l'on s'en est moqué. Les mêmes prédictions étaient réitérées pour l'année 1840.
En français familier, on dira s'en ficher comme de sa première culotte.
* Assiette. Ne pas être dans son assiette (Être maussade)
En langage maritime, l'assiette est l'équilibre horizontal du navire sur l'eau; cet équilibre est automatiquement rétabli grâce au lest. (Plus commun au Québec qu’en France)
* Barouetter. Se faire barouetter. (Se faire berner, se faire reconduire d'un intermédiaire à l'autre).
Barouetter: de brouette, petite caisse à la roue et deux brancards, d'usage courant. Barouette: défomation de ce mot. Barouetter, c'est transporter des marchandises dans une brouette. Par contre, se faire barouetter, c'est proprement se faire raconter toutes sortes d'histoires qui ne tiennent pas debout.
* Boire debout. Mouiller à boire debout, mouiller à siaux (seaux). (Pleuvoir abondamment).
C'est-à-dire assez pour emplir des seaux; autrefois, lorsqu'il pleuvait, on en profitait pour emplir les seaux de cette eau qui servait aux soins de beauté et aux usages domestiques, d’où l'expression.
* Boîte. Fermer sa boîte. (Se taire). En français familier, on dira se la fermer.
* Bon. Rire comme un bon. (Rire volontiers). Travailler comme un bon. (Travailler avec ardeur).
* Bonjour. Simple comme bonjour.(Très facile)
* Bout. Se lever du mauvais bout. (Être maussade). En français commun, on dira se lever du mauvais pied.
* Branleux. Être branleux. (Être lambin, être lent)
* Cadeau. Ne pas être un cadeau. (Ne pas être facile à supporter). En français familier, on dira c'est pas donné.
* Canard. Sentir le petit canard la patte cassée.(Sentir mauvais). En français familier, on dira sentir le hareng saur.
* Charrue. Mettre la charrue devant les boeufs; mettre la charrue avant le cheval.(Commencer par la fin).
* Chien. De chien (Considérable, remarquable). Superlatif. Malade comme un chien. (très malade).
* Chienne. Avoir la chienne.(Avoir peur). Habillé comme la chienne à Jacques.(Mal habillé)
* Claque. Donner la claque. (Faire un grand effort).
* Cochon. Faire un coup de cochon. (Tromper, trahir). En français familier, on dira porter un coup bas.
* Coeur. Faire lever le coeur. (Dégoûter). En français familier, on dira soulever le coeur.
* Coquille. Sortir de sa coquille.(Sortir de son gène).
* Corde à linge. Passer la nuit sur la corde à linge. (Passer la nuit debout).
* Coton Aller au coton. (Aller au maximum de vitesse, de puissance).
* Cris. Pousser des cris de mort. (Crier à pleins poumons).
* Curé. Parler comme un curé. (S'exprimer éloquemment).
* Diable. Avoir une misère du diable. (Être en grande difficulté).
* Dire. Dire comme on dit.
Se dit pour introduire un proverbe. « Je vais dire comme on dit, la vie n'est pas ce qu'il y a de plus facile à vivre. »
* Doigt. Gros comme mon doigt. (De petite taille, maigrichon).
* Dur. Faire dur. (Avoir l'air ridicule, repoussant).
* Embarquer. Se faire embarquer (Se faire berner).
Expression qui a, elle aussi, son origine dans le vocabulaire marin. Autrefois, en effet, on faisait souvent embarquer les marins par contrainte ou par de fausses promesses, d’où l'expression.
* Face. Se parler dans la face. (Se dire ouvertement ce qu'on pense l'un à l'autre). En français familier, on dira Se dire ses quatre vérités.
* Feuille. Trembler comme une feuille. (Trembler beaucoup).
* Fou. Un fou dans une poche.
Se dit pour signifier son intention de ne pas se laisser berner. « Si tu penses que j'ai l 'intention d'acheter cet appareil deux fois le prix qu'il vaut, un fou dans une poche... »
* Frais. Faire son frais. (Faire le prétentieux, l'orgueilleux)
* Galipote. Courir la galipote. (Courir les jupons, vagabonder)
* Gants. Mettre des gants blancs. (Faire des cérémonies, agir avec déférence).
* Gloire. Partir pour la gloire. (S'enorgueillir au point de déraisonner).
* Gratteux. Être gratteux. (Être avare).
* Habitant. Avoir l'air habitant. (Avoir l'air rustique, mal dégrossi).
* Jambes. Avoir les jambes en guenille. (Avoir les jambes flageolantes).
* Marmotte. Dormir comme une marmotte. (Dormir d'un sommeil profond).
* Nez. Se faire tordre le nez. (Recevoir une correction, une raclée).
* Nombril. Se regarder le nombril. (Se complaire de son image).
* Oiseau. Libre comme l'oiseau dans l'air. (D'une liberté absolue).
* Patates. Être dans les patates. (Être hors de propos, passer à coté de la question).
* Patins. Accrocher ses patins. (Cesser tout travail, accéder à la retraite).
Allusion au joueur de hockey qui, à la fin d'une partie ou de la saison, accroche ses patins.
* Peau. Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. (Prévoir mal les événements).
* Pieds. Se mettre les pieds dans les plats. (Se fourvoyer).
* Porc-épic. Avoir une tête comme un porc-épic. (Avoir les cheveux raides, dressés sur la tête).
* Portrait. Se faire arranger le portrait. (Se faire battre).
* Poteau. Droit comme un poteau. (Très droit, dressé).
* Québécois. Être un Québécois pure laine. (Être québécois de souche, véritable).
* Queue. N'avoir ni queue ni tête. (N'avoir aucun sens).
* Ratoureux. Être ratoureux. (Être espiègle, rusé).
* Royalement. Se tromper royalement. (Se tromper tout à fait, de façon évidente).
* Tête. Grosse tête d'eau. (Idiot). Tête de cochon. (Individu bute). Tête de pioche. (Entêté).
* Yeux. Coûter les yeux de la tête. (Être très cher, inabordable).
Annexe 2
Les archaïsmes au Québec15
Selon Françoise Tétu de Labsade , les archaïsmes, des « éloignements par rapport au français commun dans le temps, sont présents au Québec à cause du repli sur soi imposé par les conquérants au XVIIIe siècle et l'arrivée des clercs au XIXe siècle qui accentuèrent chez les Canadiens le sentiment que la France était le pays des révolutions et ne firent pas grand chose pour divulguer une littérature qui n'était pas pavée de bons sentiments. »
Le Québec a donc gardé de son long isolement quelques mots qui ont disparu de la France à part d'un usage dans certaines régions bien précises:
* Barrer la porte signifie ‘fermer la porte’ avec une allusion à l'ancien mode de fermeture simple avec une barre transversale au lieu d'une clé. Selon Labsade, cette expression s'emploie encore très fréquemment en Anjou avec le même sens qu'au Québec.
* Catin a garde son premier sens de poupée (cf. Littré), un sens attesté en France. Les Québécois utilise catiner au sens de ‘jouer à la poupée’.
* Trâlée, une expression de Picardie, signifie ‘un grand nombre’ et n'est pas inclue dans Le nouveau petit Robert (NPR).
* Il mouille pour ‘il pleut’ est une expression commune au Québec et elle est utilisée encore en Bretagne et dans l'Ouest de la France. ‘Mouiller’ dans le sens de pleuvoir n'est pas mentionné dans le NPR.
D'autres mots qui sont encore en fréquent usage au Québec et en usage diminuant ou considéré vieillis dans les dictionnaires en France sont: jaser (« vieilli » dans le NPR), achaler (pas mentionné dans le NPR), tanner (dans le sens d’ « agacer »).
Table des matières
Introduction ……………………. 1
I. Le français standard au Québec ……………………. 4
1.1 Les modèles supranorme et infranorme ……………………. 6
1.2 La description du français québécois écrit ……………………. 8
1.2.1 La description différentielle et la méthode globale ……………………. 11
1.2.2 Vers un dictionnaire global du français québécois ……………………. 12
II. Des particularités de l’usage du français standard au Québec ……………………. 20
2.1 La grammaire et la syntaxe ……………………. 20
2.2 Le lexique ……………………. 25
2.3 Les anglicismes et les calques ……………………. 29
Conclusion ……………………. 34
Notes ……………………. 38
Bibliographie ……………………. 41
Appendices
Exemples d’expressions québécoises communes ……………………. 46
Les archaïsmes au Québec ……………………. 48